Désertification culturelle.
Maroc : désertification culturelle |
C’était il y a longtemps. Je prenais un café avec Jean Genet dans le
centre ville à Tanger. La Marche Verte venait d’avoir lieu. Nous
parlions de cet enthousiasme du peuple marocain, puis Genet s’arrêta et
posa son regard sur un groupe de jeunes qui étaient là en train
d’attendre quelque chose ou quelqu’un. Ils s’ennuyaient. Après un
moment de silence, il me dit :
--Tu sais qu’en ce moment a lieu à Paris une très belle exposition de
Van Gogh ; le ministre de la culture marocain devrait organiser des
charters pour emmener ces jeunes voir ces magnifiques peintures. Ce
serait rendre un grand service au Maroc.
Certes Genet était connu pour son esprit de provocation. Mais là, ce
n’était pas une de ses idées dérangeantes et malintentionnées. A bien
réfléchir il avait raison. L’idée du charter est une métaphore. On
pourrait imaginer d’offrir un voyage aux étudiants les plus méritants
pour visiter le musée du Prado à Madrid ou le Louvre à Paris. Encore
faut-il avoir un ministère digne de ce nom et un intérêt sincère pour
la jeunesse de ce pays. On pourrait aussi imaginer une telle exposition
se tenir dans un grand musée du royaume. Il n’y a pas de musée ? Ah,
bon. Pas de musée national ? Rien ? Des projets ? Passons.
Nous assistons de plus en plus à une avancée du désert culturel dans
notre pays. Cette désertification est une réalité criante. Certes, il
existe un ministère avec un ministre et des fonctionnaires. On me dit
que son budget est tellement misérable qu’on n’en parle même pas. Mais
ce qu’il y a de pire que l’absence de moyens financiers c’est l’absence
de volonté politique. La culture a certes besoin d’argent pour se
produire. Mais elle a surtout besoin de considération et de réelle
volonté afin de lui ouvrir un espace assez large pour exister. Le
peuple a sa culture, encore faut-il la valoriser et lui donner les
moyens de s’exprimer.
On a pris l’habitude de confier la culture du pays aux centres
culturels étrangers comme les instituts français, allemand, espagnol.
Heureusement qu’ils existent, d’abord parce qu’ils sont utiles et
nécessaires, ensuite parce qu’ils démontrent la faiblesse voire
l’inexistence d’initiatives nationales qui répondraient aux attentes
d’une jeunesse qui comme toutes les jeunesses du monde a besoin de
consommer de la culture qu’elle soit classique ou moderne, provocatrice
ou simplement traditionnelle.
Laisser cette jeunesse livrée à elle-même dans un contexte politique
mondial marqué par l’extrémisme meurtrier, est une erreur, une faute
dont on ne mesure pas les conséquences à court ou long terme.
Les politiques devraient comprendre que le développement économique du
Maroc est incomplet et lourdement handicapé sans le développement
culturel. En quoi consiste-t-il ? Le chantier culturel devrait être
aussi important que celui de l’enseignement ou du moins qu’il en fasse
partie.
Je me souviens lorsque Mohamed Benaïssa avait été nommé ministre de la
culture, je lui avais conseillé, en tant qu’ami, de lancer la
construction de plusieurs centres culturels dans les villes du royaume.
Je lui avais donné l’exemple du Centre Beaubourg à Paris qui est un
véritable champ de bouillonnement culturel. Des milliers de visiteurs
quotidiennement. Une réussite formidable dans une capitale qui ne
manque pas de musées ni de lieux où les nourritures culturelles sont
aussi importantes que les nourritures terrestres.
Evidemment nous n’avons pas les moyens de la ville de Paris. Mais
avons-nous des idées ? des initiatives simples pour développer les
potentialités créatrices de notre jeunesse ? Benaissa avait acquiessé
avec un sourire en coin du genre « cause toujours ».