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C H E Z   M O U N S E F
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5 janvier 2007

La pendaison manquée du raïs

Le 30 décembre, Saddam Hussein a été pendu. Le timing comme les circonstances de l'exécution du dictateur déchu laissent pourtant un goût d'inachevé.

Il aurait dû disparaître dans l'opprobre, après avoir été jugé pour les crimes qu'il a commis ou ordonnés. Il est mort en donnant l'image d'un homme calme face à la mort, courageux et déterminé. Saddam Hussein, l'ancien dictateur, accusé de la mort de dizaines de milliers d'Irakiens, a été pendu à l'aube du 30 décembre, dans une caserne des renseignements militaires de Khadamiyah, quartier nord et majoritairement chiite de Bagdad. Oubliées, les images d'un Saddam hirsute, aux yeux écarquillés et perdus, se faisant examiner la bouche par un militaire américain après son arrestation en décembre 2003 au fond d'un trou par l'armée US. L'homme, qui avait déjà retrouvé toute son arrogance face à ses juges lors de son procès est mort, pour beaucoup dans le monde arabe, en “martyr”. Disponible dès le 31 décembre sur Internet, la vidéo complète de l'exécution de l'ancien raïs ressemble à un dernier défi lancé par Saddam à ses adversaires.

Une exécution confessionnelle

Ces images, capturées par le téléphone portable de l'un des hommes assistant à l'exécution, révèlent que certains témoins scandaient le nom du chef radical chiite Moqtada Sadr quelques instants avant sa pendaison, donnant à cette exécution un caractère confessionnel. Les cris ont résonné comme une vengeance. Quant aux bourreaux, affublés de cagoules et de vestes en cuir, ils ressemblaient surtout à des miliciens.

Longue d'environ deux minutes, la vidéo de la mise à mort de Saddam Hussein montre d'abord la potence en métal rouge, à plusieurs mètres au-dessus du sol. La petite salle dans laquelle le tyran déchu va mourir est visiblement étroite pour le grand nombre de spectateurs. Entouré des bourreaux, le condamné, qui a refusé de mettre une cagoule, avance sur la trappe, une grossière corde autour du cou. L'un des bourreaux ajuste l'énorme noeud. Incroyablement calme, Saddam ne montre quasiment aucune émotion. Aucun signe de panique, de détresse ou de nervosité. Juste une tension à peine perceptible. L'assemblée et l'ancien président entament ensemble la récitation d'une prière. “Moqtada, Moqtada, Moqtada !”, lancent alors quelques personnes. Après quelques invocations typiquement chiites dans l'assistance, un homme martèle “Vive Mohammed Baqer”, l'oncle de Moqtada Sadr, assassiné par le régime de Saddam. “Va en enfer”, lance un autre. À la fois surpris et hautain, Saddam jette un regard dans leur direction. “Va en enfer”, rétorque-t-il apparemment, avec mépris. Il récite pour la dernière fois la Chahada. Il n'a pas le temps de la terminer : la trappe s'ouvre dans un vacarme métallique. Saddam tombe brutalement dans le vide. Confusion, images instables. Puis gros plan sur la tête du condamné, pendu au bout de la corde, le cou brisé. Saddam Hussein est mort. Mais il a encore les yeux ouverts et fixe les spectateurs. “Le tyran est tombé, malheur à lui”, lance quelqu'un dans l'assistance. “Laissez-le pendre au bout de sa corde”, ordonne un autre : “Qu'il reste pendu pendant huit minutes. Que personne ne le descende”.

Le jour de l'Aïd

Une fois la nouvelle rendue publique, c'est la surprise et le malaise qui prédominent. Surprise, à cause du choix de la date, le jour de l'Aïd el-Kébir. Malaise, en raison des circonstances de l'application de la sentence.

La pendaison n'a suscité que des manifestations de joie mesurée en Irak, surtout dans les villes et les quartiers chiites du pays, où ont retenti tirs de Kalachnikov et cris. “Une infamie américaine : ils ont pendu Saddam le jour de l'Aïd”, titrait le lendemain le quotidien égyptien Rose al-Youssef. Nombreux sont ceux qui comparent Saddam au “mouton attendant d'être abattu”, comme Emad Gad, analyste politique au Centre d'études stratégiques d'Al-Ahram, en Egypte. Pour le Hamas, comme pour les près de 200 manifestants marocains qui ont défilé le jour de l'exécution, il s'agit d'un “assassinat politique”, alors que pour Israël, justice a été faite, tout comme pour l'Iran, qui a salué le jugement contre celui qui a été la cause d'une guerre de huit ans entre Bagdad et Téhéran.

La Libye, elle, a carrément décrété trois jours de deuil national. Quant au président américain George W. Bush, il a affirmé que l'exécution de Saddam était une “étape importante” pour la démocratie en Irak, tout en reconnaissant qu'elle n'arrêterait pas la vague de violences qui déchire le pays.

“Nouvel Irak” ?

Ce que cherchait le gouvernement du Premier ministre Nouri Al Maliki, dominé par les chiites, c'est à appliquer une décision de justice contre l'ancien président. Cette vidéo choc donne au contraire le sentiment d'assister à une brutale exécution politique. Elle illustre aussi la terrible division du pays, ravagé par les violences confessionnelles. Destinées à prouver la mort du dictateur à l'opinion publique irakienne, les images de son exécution ont surtout montré un Saddam Hussein “résolu et courageux” qui, jusqu'au bout, n'a pas tremblé, selon l'expression d'un des témoins, pourtant adversaire farouche de l'ancien président.

La sentence de mort a été appliquée avec une célérité sans précédent. Condamné pour avoir ordonné l'exécution de 148 villageois chiites en représailles à un attentat contre son convoi en 1982, Saddam devait en tout répondre de sept chefs d'accusation de “crimes contre l'humanité”. Pour Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme (FIDH), “l'exécution hâtive” de l'ancien allié de l'Occident a permis d'éviter un procès global qui aurait pu déboucher sur un “déballage” gênant pour les Etats-Unis et les Européens. Le jugement de Saddam, premier chef d'Etat arabe à être jugé dans son pays pour des crimes commis contre son peuple, aurait dû être l'un des actes fondateurs du “nouvel Irak”. Mais après un procès bâclé et une exécution ratée, il ne reste qu'un goût d'amertume et d'inachevé, et un peuple probablement spolié de son histoire.

Telquel n° 255

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